8.
Structures
Malgré la complexité des dépôts
mis au jour dans la tranchée K2, certaines structures architecturales ont pu être
délimitées durant la fouille. Ces structures ont été brièvement décrites
dans un compte-rendu de Franz B. Maier (DATE), rédigé à l’occasion de
l’exposition qui eu lieu au Musée historique de Berne en [DATE]. Après la présentation
de ces structures, l’information fournie par des structures similaires, fouillées
lors de recherches antérieures et postérieures, sera examinée et comparée
aux données architecturales du sondage K2.
8.1 Structures architecturales du profil K2
8.1.1
Structure d'habitat H1
Un premier ensemble
architectural, dénommé H1 (Fig. 12.), comprend les éléments suivants :
-
SV1 :
il s’agit d’un bloc de pierre, de forme parallélipipèdique, érigé
verticalement au Mètre 25.5. La base d’implantation de ce bloc n’a pas
été atteinte. La longueur observée mesure 114 cm.
-
SV2 :
un ensemble, constitué d’os longs de mammifères marins et d’une poutre
de bois disposés horizontalement au Mètre 25.5 (perpendiculairement à la
coupe), prolonge SV1 vers le haut.
-
SV3 :
il s’agit d’un muret de pierre sèche (quatre niveaux) construit à la
base de la tranchée au Mètre 23 et atteignant une hauteur de 70 cm ;
sa base d’implantation n’a pas été atteinte en cours de fouille.
-
SV4 :
un ensemble d’os de mammifères marins, dont une mandibule de baleine,
disposés horizontalement (et perpendiculairement à la coupe), prolonge
verticalement le muret SV3 vers le haut.
Ces quatre éléments forment
deux parois subverticales d’environ 160 cm de hauteur, séparées par un
espace de 230 cm au sommet et de 180 cm à la base atteinte. Le volume
délimité par ces deux parois contient une succession de trois unités
stratigraphiques distinctes (de bas en haut) :
-
l’us11
constitué d’un volume de glace vive de 50-60 cm d’épaisseur ;
-
l’us10inf
qui est une couche hétérogène très herbeuse, peu humique, de forte
densité, faiblement sableuse, fortement radicellée, qui contient beaucoup
d’os de grandes dimensions, beaucoup de fanons de baleine, et une quantité
moyenne de coquillages ;
-
l’us10sup qui
est une couche hétérogène brune très herbeuse, peu humique, très peu
sableuse, fortement radicellée, qui contient des quantités moyennes d’os
et de coquillages et peu de fanon de baleine.
Il est évident que la nature
de l’us11 correspond à l’inondation d’un volume interne par de l’eau de
fonte du pergélisol environnant. Un tel phénomène n’a pu se produire
qu’en été (juin à septembre). La congélation de cette eau a dû avoir lieu
durant l’hiver consécutif, et des conditions particulières ont favorisé la
conservation de ce volume de glace, notamment par le dépôt de l’us10inf qui
a scellé le volume de glace sous-jacent. Cette us10inf présente des composants
qui rappellent celles d’une toiture de maison semi-souterraine ; elle
comprend des os longs de mammifères marins, des bandes de fanon de baleine, un
résidu de peau ou de cuir, quelques bois, et surtout une forte composante
herbeuse. Il est possible de définir une structure architecturale horizontale
SH1 qui comprend les composantes de l’us10inf (et peut-être aussi des éléments
de la base de l’us10sup), et cette structure peut être interprétée comme la
toiture qui s’est affaissée dans les mois qui ont suivi l’inondation du
volume interne de l’habitat. La partie supérieure de l’us10sup (au dessus
de SH1) montre une épaisseur allant jusqu'à 100 cm. Il est difficile
d’imaginer qu’un volume aussi épais provienne de la couverture d’un
habitat. Il est nettement plus probable que ce dépôt - du moins sa partie supérieure
- est postérieur à l’affaissement de la toiture, et donc en relation avec
des structures plus récentes.
Fig. 12
La distance d’environ 200 cm
qui sépare les deux parois SV1-2 et SV3-4 est relativement restreinte ; il
est probable que le profil ait été aménagé soit dans un coin de la zone
interne de la maison semi-souterraine, soit à travers un diverticule (ou
chambre). La hauteur préservée des parois ne permet en aucun cas d’interpréter
le volume ainsi délimité en tant que couloir d’accès.
Nous pouvons déplorer que la
fouille n’ait pas atteinte le fond de cette structure d’habitat qui, du
reste, présente une excellente préservation en hauteur. Le volume de glace
aurait dû laisser présager une parfaite conservation du mobilier archéologique
qui pouvait subsister sur le plancher de l’habitat.
8.1.2
Structure d'habitat H2
L’extrémité septentrionale
d’un ensemble architectural H2 (Fig. 13) a été révélé partiellement
entre les Mètres 5 et 8. Au Mètre 7.5, un poteau sub-vertical de 24 cm de
largeur apparaît sur une hauteur de 170 cm. Sur son flanc septentrional et
à environ 40 cm de son sommet, un empilement de perches horizontales,
orienté perpendiculairement au profil, est aménagé au dessus d’une côte de
baleine ; la hauteur totale de cet empilement est de 74 cm. Le diamètre
des perches se situe entre 10 et 16 cm. Près du sommet du poteau de bois,
une poutre de bois est disposée parallèlement à l’axe de l’empilement de
perches. Cet ensemble vertical d’éléments architecturaux (SV5) correspond
nettement à une paroi de maison semi-souterraine. Aucune autre paroi n’a pu
être observée, mais on peut raisonnablement supposer sans risque qu’elle se
situe au niveau du Mètre 3-4 (non touché par le profil).
A mi-hauteur du flanc méridional
du poteau de bois, il y a trois grands os de mammifères marins disposés dans
une position subhorizontale. D’autres éléments horizontaux y font suite
entre les Mètres 5 et 7, notamment des os longs et des perches de bois. Cette
structure horizontale (SH4) est incluse dans l’us42 qui correspond
certainement à une toiture affaissée dans un volume vide.
Fig. 13
Entre SV5 et l’extrémité méridionale
de la tranchée, le profil comprend huit unités stratigraphiques distinctes
(us41-45). Certaines s’étendent également au nord de la paroi SV5 (us43-44).
De bas en haut, ces couches sont les suivantes :
-
l’us44
est la couche de sable argileux à graviers, de couleur verdâtre jaune, qui
forme le fond stérile de la structure H2. Cette couche est l’équivalent
de l’us29 qui apparaît à la base du profil entre les Mètres 13 et 19.
-
Au
dessus, l’us43 est composée d’un sédiment noir, gras, humique et
finement sableux. Il contient des très petites esquilles de bois et des
cendres. Trois blocs lithiques disposés à plat pourraient faire
correspondre cette couche au plancher de l’habitat. Cette couche pourrait
être due partiellement à l’accumulation de déchets domestiques et aussi
partiellement à un éventuel incendie.
-
L’us42,
principal remplissage de cette section, présente plusieurs niveaux génétiques
qui n’ont probablement pas été distingués sur le terrain. A la base, le
sédiment herbeux brun gris forme une fine bande entre les Mètres 5.7 et
7.10 ; plus au sud, cette bande s’épaissit (15-30 cm). Elle
correspond à une première phase d’affaissement de la toiture ; un
grand nombre de récipients en bois et fanon de baleine y ont été retrouvés,
juste au dessus de l’us43. Au dessus de cette première bande, toujours
entre les Mètres 5.7 et 7.10, une lentille de glace vive (us45) s’est
formée. Elle englobe partiellement un empilement de quelques os et de deux
morceaux de bois qui sont tombés de la toiture (ces éléments sont
parfaitement jointifs). Par dessus l’us45, le sédiment herbeux et
spongieux brun gris se développe sur une épaisseur qui atteint 110 cm
près de la paroi SV5. Il inclus un grand nombre d’éléments horizontaux
qui définissent SH4, en particulier à mi-hauteur. Quelques os de
dimensions plus faibles se trouvent au sommet de l’us42 ; ceux-là
sont peut-être intrusifs (ils pourraient provenir de la couche
sus-jacente). Cette couche complexe représente à la fois la nature de la
toiture et différentes phases de son affaissement. Qu’il s’agisse de la
toiture d’un habitat semble démontré par la présence des nombreux récipients
à l’interface de l’us42 et de l’us43.
L’us41
est une couche de sédiment toundratique noir, herbeux et radicellé. Elle
inclut quelques grands morceaux de bois et d’os qui n’ont vraisemblablement
rien à voir avec la structure H2 sous-jacente, mais qui participent d’aménagements
postérieurs à l’affaissement de la maison semi-souterraine.
8.1.3
Cache à viande C1
Entre les Mètres 14.7 et
17.3, une structure négative C1 (Fig. 14) est représentée par l’us30
et se développe juste sous l’us0. Il s’agit d’une fosse creusée sur 120 cm
de profondeur, large d’environ 250 cm au sommet. Il semble que le profil
ne présente qu’une bordure de cette fosse, et son diamètre maximal doit donc
excéder la largeur apparente de 250 cm.
Le remplissage de la fosse
comprend une matrice sombre, grasse et fibreuse, moyennement radicellée, avec
très peu de sable. Les inclusions se présentent sous la forme d’une quantité
moyenne d’ossements de grandes dimensions. Une plaque de cuir épaisse de 2-4 cm
a également été documentée.
Le flanc septentrional de la
fosse est aménagé avec une banquette (SP1), constituée d’un agencement de
blocs lithiques et d’une scapula de morse disposée à plat, localisées à
environ 30 cm de profondeur ; les dimensions initiales de cette
banquette devait être d’environ 110 cm de largeur pour 48 cm de
hauteur ; la largeur préservée de 130 cm est due au déplacement
d’une partie des pierres constitutives vers le centre de la fosse. Au dessus
de banquette, une plaque de cuir ou de peau animale a été observée. Au dessus
et au nord de la banquette, un gros bloc lithique SP2 d’environ 45 cm
forme une marche supérieure ou fait partie d’un cerclage sommital de la
fosse.
Dans la partie méridionale de
la fosse, un crâne de baleine, de 120 cm de largeur, est disposé
verticalement. Ce crâne (SP3) est vraisemblablement aussi un élément de
parement des parois de la fosse.
Des côtes de baleine sont intégrées
dans le fond de l’us0 sus-jacent et représentent certainement les vestiges
d’une couverture de la fosse (SH2).
Fig.
14
Cette structure peut être
interprétée comme une cache à viande classique, notamment par la morphologie
de l’agencement (parement de pierres et d’ossements, os longs de couverture)
et aussi par la présence de peau animale de forte épaisseur (2-4 cm). La
matrice grasse et fibreuse semble indiquer que cette cache à viande n’était
pas remplie à son abandon par l’homme, mais l’activité de la faune
fouisseuse et celle des renards polaires à aussi pu contribuer à la
disparition finale des restes de viande, ce qui n’est pas toujours le cas.
8.1.4
Cache à viande C2
Une construction négative,
similaire à la cache à viande C1, se trouve entre les Mètres 10 et 12.5.
Cette structure C2 (Fig. 15) se présente sous la forme d’une fosse creusée
sur une profondeur de 146 cm, avec une largeur de 300 cm au sommet et
avec un fond relativement plat et large d’environ 190 cm. La matrice qui
constitue le remplissage (us36) est noirâtre, grasse, avec des lambeaux de matière
herbeuse entremêlés de racines. Les inclusions comprennent principalement des
os de mammifères marins de grandes dimensions.
Le fond de la fosse est caractérisé
par deux structures de parement constituées principalement de blocs lithiques,
mais aussi de quelques ossements. Sur le flanc septentrional de ce fond, des
blocs de fortes dimensions (jusqu'à 50 cm) sont agencés en un semblant de
muret (SP4) dont les dimensions sont 70 cm de hauteur et 86 cm de
largeur. Sur le flanc méridional, une seconde structure de parement (SP5)
d’environ 85 cm de hauteur est aménagée sur une largeur de plus de 100 cm.
On ne peut pas exclure que ces deux structures SP4-5 aient initialement formé
un unique et épais plancher sur le fond de la fosse.
La partie supérieure du
remplissage contient un arrangement horizontal (SH3) comprenant des os longs de
baleine (peut-être une mandibule) et une poutre de bois. Ces éléments
horizontaux, qui s’étendent sur une largeur de 240 cm) sont certainement
les vestiges d’une structure qui recouvrait initialement la fosse.
Une unité stratigraphique
distincte (us35) recouvre la structure SH3 ; elle est composée d’un sédiment
toundratique sombre très dense et gras. Il est possible que ce sédiment soit
une induration localisée de sédiment de l’us0, provoquée par la composante
grasse de l’us36 sous-jacente (capillarité).
Fig.
15
La fonction de cette fosse est
certainement similaire à celle de la cache à viande C1. La préservation de
masses carnées dans le remplissage est un indice qui tend à confirmer les
informations fournies par les agencement architecturaux de cette cache à viande
C2.
8.4.5
Fosse F1
Une structure négative F1
(Fig. 16) se situe sous la couche récente us0, entre les Mètres 20.3 et 22.3.
Elle a la forme d’une cuvette large (200 cm) et moyennement profonde (40 cm).
Son fond est tapissé de cuir et son remplissage est constitué de résidus de
tissus carnés de couleur orange rose, d’aspect suiffeux et fragile, ainsi que
de plaques de cuir et de quelques ossements de morse. Pour cette us20, il
s’agit donc d’un remplissage gras, au sens strict du terme, qui correspond
au dépôt d’un quartier de viande en surface (probablement du morse) et non
pas d’une cache à viande construite comme les structures C1 et C2 (bien
qu’il soit impossible de prouver qu’aucun creusage n’ait eu lieu avant le
dépôt). Ce qui est intéressant, c’est le fait qu’une telle masse de
viande n’ait pas été exploitée, soit par les habitants, soit par des
chiens, soit encore par d’autres carnassiers. Cette viande a dû être déposée
peu de temps avant l’abandon du site, ou alors quelques temps après (mais
avant la sédimentation naturelle de l’us0), par des individus qui n’ont pas
jugés opportun d’utiliser cette viande.
Fig.
16
L’us21, qui s’étend en
une fine bande sur l’us20 et qui s’épaissit entre les Mètres 19.3 et 20.4,
est composée d’un sédiment toundratique très sombre. Cette coloration
sombre a certainement été favorisée par la nature du dépôt carné
sous-jacent. De plus, des peaux se trouvent à l’interface de cette us21 et de
l’us0 (sédiment toundratique) sus-jacente. La raison de la présence de ces
peaux est difficile à déceler. Il est possible qu’elles sont liées au dépôt
carné (us20).
8.1.6 Remarques
Comme nous pouvons le
constater, les structures visibles dans notre profil K2 ne sont pas exemptes de
potentialités explicatives. Malgré cela, nous n’avons que des informations
verticales à notre disposition, ce qui rend difficile, voire illusoire, les
comparaisons avec d’autres sites où l’obtention de plans était privilégiée.
Dans ce cadre, nous nous contentons de présenter une vue synthétique des données
architecturales disponibles pour le Néoeskimo, de manière à ce que le lecteur
puisse se faire une idée des types de structures construites durant ces périodes.
En conclusion, nous verrons si certaines caractéristiques de nos structures
sont compatibles avec certaines structures architecturales connues.
8.2 Structures d'habitat du Néoeskimo
8.2.1 Architecture de l'Okvikien
Deux ruines de maisons
semi-souterraines okvikiennes ont été mise au jour sur l’île St. Laurent,
toutes deus sur le site de Hillside près de Gambell (Sivuqaq). Ce sont les deux
seules structures d’habitat attribuables à l’Okvikien, tant en Alaska
qu’en Tchoukotka. L’un des habitats a été découvert et fouillé par
Giddings en 1939 (Giddings 1957 ; Rainey 1941:471). L’autre a été mise
au jour par l’équipe du Prof. Bandi en 1967 (Bandi 1971-72:82-84) ; il
s’agit de la Maison 1 (Haus 1) des fouilles de Bandi. Ces deux maisons présentent
des caractéristiques différentes.
8.2.1.1
Ruine okvikienne de Giddings à Hillside
Non loin des deux ruines
fouillées par Collins en 1930, Giddings met au jour le plancher d’une grande
maison semi-souterraine (Fig.
17). La zone interne est apparemment de forme subcirculaire, avec un diamètre
d’environ 540 cm ; elle est soigneusement dallée. Non loin du
centre se trouve un foyer entouré de dallettes dressées verticalement. Dans le
quadrant sud-est, une substructure interne composée de blocs, de poteaux, de
poutres et d’os de baleine représente peut-être une plate-forme de couchage.
Non loin de là, un matelas composite de quatre couches superposées (de bas en
haut : peau, herbes, scapulas, plumes) reposait à même le dallage (Fig. 18, profil 3). Dans
le quadrant sud-ouest, le dallage est absent et remplacé par une zone de terre
noire ; la fonction de cette zone est difficile à déterminer.
Aucun vestige de couloir
d’entrée n’a été découvert. Celui-ci se trouvait certainement au sud de
la zone interne (le profil 2 dans la Fig.
18 montre un début de dallage au sud et à un niveau inférieur à la
zone interne).
Le mobilier décoré consiste
en 10 objets, dont 6 têtes de harpon basculantes ; le style décoratif
appliqué est exclusivement l’Okvikien (c’est-à-dire le style 1 du Vieux Béringien
selon la définition de Collins). Ce matériel est en relation directe avec la
dernière occupation de la ruine, contrairement au matériel okvikien découvert
sous les planchers des deux ruines de Collins. Selon Rainey (1941:472), cette
ruine de Hillside est contemporaine au site de l’îlot Punuk, éponyme de l’Okvikien,
et plus ancienne que les deux ruine fouillées par Collins. Malheureusement,
aucune datation absolue ne vient confirmer ou infirmer cette affirmation.
Fig.
17
Fig.
18
8.2.1.2
La ruine okvikienne de Bandi à Hillside
En 1967, l’équipe du Prof.
Bandi fouille deux ruines de maisons semi-souterraines dans la région de
Gambell, l’une (Haus 1) sur le site de Hillside, et l’autre à Mayughaaq (Miyowagh).
La première (Bandi et Bürgi
1971-1972:82) se trouve à une altitude inférieure aux trois ruines qui avaient
été fouillées sur ce site par Collins et Giddings. La zone interne, délimitée
par des fondations en blocs rocheux, mesure 8.3 m de largeur pour 6.4 m
de longueur (sans le couloir), et montre une tripartition en trois zones
nettement distinctes.
Fig.
19
La cellule centrale mesure
environ 300 cm de longueur pour 60 cm de largeur près de l’entrée
et pour près de 200 cm de largeur maximale au fond. L’élévation des
murs de fondation atteint une hauteur d’environ 100 cm au fond de la
cellule, alors que seules une à trois couches de pierre sèche subsistaient près
de l’entrée. Cette cellule centrale est le prolongement direct du couloir
d’entrée, qui semble relativement court (environ 200 cm). La cellule
septentrionale, de forme ovale, mesure environ 280 sur 180 cm. Le sol de
trouve à environ 20 cm au dessus de celui de la cellule centrale. La
cellule sud-ouest est une surface quadrangulaire d’environ 150 cm de côté.
Le sol se trouve à une altitude similaire à celle de la cellule
septentrionale. La zone centrale, de forme allongée, est aménagée dans le
prolongement d’un couloir d’entrée relativement court (250-280 cm).
Il est impossible
d’attribuer une fonction précise aux trois cellules, mais on suppose que les
deux cellules latérales servaient de plates-formes de couchage, alors que les
activités domestiques se déroulaient dans la cellule centrale.
Le matériel découvert dans
cette ruine est peu diagnostic d’un point de vue chronotypologique (mauvaise
conservation des matières organiques). Une attribution à l’Okvikien a été
proposée par Bandi et Bürgi (1971-1972:84) ; celle-ci est basée sur la
forme arrondie de la ruine, comparable à celle fouillée par Giddings, sur la
typologie de l’industrie lithique prélevée (prédominance des pointes pédonculées
à retouche bifaciale couvrante sur les pointes pédonculées polies), ainsi que
sur une datation radiocarbone - B-892 : 1370 ± 60 BP (Bandi 1968:7) - qui
cale la construction dans une intervalle calibré de 550-790 ap. J.-C. (2 sigma).
Si l’argument morphologique
peut, dans une certaine mesure, être retenu pour une attribution à l’Okvikien,
les arguments chronologiques et chronotypologiques ont une valeur assez peu déterminante.
L’industrie lithique peut-être attribuée à un ensemble culturel Vieux-Béringien/Okvikien
sans autre degré de précision. La datation unique est trop récente pour
l’Okvikien (qui est censé disparaître vers 300 ap. J.-C.) ; elle correspond
plutôt à une Vieux Béringien récent ou à un Punukien ancien ; le
contexte et la nature exacte du matériel daté devraient être examinés avec
quelque précision avant de mettre la datation en relation avec la structure
d’habitat.
8.2.2
Architecture du Vieux Bériengien
Sur l’île St. Laurent,
plusieurs structures d’habitat attribuées au Vieux Béringien ont été
fouillées ou testées. Quelques-unes présentent un plan horizontal extensif.
Une des deux ruines mises au
jour par Collins en 1930 à Hillside est bien préservée (House 2 ;
Collins 1937:39-40). L’autre ruine fouillée par Collins sur ce site était
mal préservée et n’a pas fourni de plan complet. La ruine Hillside - House
2 comprend les éléments suivants (Fig.
20) :
-
Une
zone interne quadrangulaire de 310 cm de largeur et de 400 cm de
longueur, délimitée par un dallage régulier.
-
Un
couloir d’entrée linéaire, perpendiculaire à la zone interne et délimité
par une dallage régulier (mais avec des dalles de module inférieur à
celui de la zone centrale). Le couloir montre un léger pendage vers
l’entrée et il se trouve à une altitude inférieure au niveau de la
zone interne (-30 cm). Sa longueur atteint 435 cm, pour une
largeur moyenne de 60 cm.
-
Des
vestiges de substructures verticales représentées par des poutres de bois
placés parallèlement aux parois, dans la partie postérieure de la zone
interne. Ces poutres, dont le diamètre oscille entre 12.5 et 20.5 cm,
plaquaient certainement le parement organique externe et isolaient la zone
de la plate-forme de couchage, puisque la longueur des poutres alignées le
long des parois latérales postérieures atteint 210 cm.
-
Quelques
perches et poutres sont disposées dans la zone interne, sans orientation régulière.
Elles doivent être mises en relation avec des aménagements internes ou
avec des vestiges des superstructures horizontales de la couverture.
Fig.
20
Cette ruine a été attribuée
au Vieux Béringien sur la base du matériel archéologique décoré selon les
styles Vieux Béringien 1 et 2 définis par Collins (pour le Vieux Béringien,
style 1, cf. Collins 1937:46 et 47, fig. 6 ; pour le style 2, cf.
Collins 1937:81 et 82, fig. 15). Le matériel du style 1 du Vieux Béringien
se trouvait principalement sous les dallages de la ruine, alors que les éléments
mobiliers décorés selon le style 2 se trouvait au-dessus. Il faut noter que le
style 1 du Vieux Béringien de Collins correspond au style Okvikien de Rainey
(1941:466-467).
Cinq datations ont été
faites, postérieurement, sur des matériaux organiques provenants des deux
ruines fouillées à Hillside. Outre une datation qui semble beaucoup trop
ancienne (C-505 : 2258 ± 230, bois d’épicéa), la calibration de la
moyenne des quatre autres datations (P-325 : 1461 ± 65, épicéa ;
P-70 : 1420 ± 70, bois ; P-94 : 1429 ± 121, bois ; P-95 :
1614 ± 106, bois) fournit un calage chronologique absolu entre 440 et 660 ap.
J.-C. pour les superstructures architecturales de ces deux ruines (cf. aussi
Annexe DATATIONS).
8.2.3
Architecture du Punukien
Un bon exemple de ruine
punukienne a été mis au jour par Bandi en 1967 sur le site de Mayughaaq (Miyowagh)
(Bandi et Bürgi 1971-72:84-111). Cette ruine se trouve dans la partie
septentrionale du site. Elle comprend les éléments structuraux suivants :
au sud, une aire interne habitable, de forme quadratique, à laquelle aboutit un
tunnel d’entrée ; ce tunnel est muni, à son extrémité nord, d’un
vestibule subtriangulaire, et d’un diverticule latéral subrectangulaire le
long de sa paroi orientale, à environ un tiers de sa longueur, orienté
perpendiculairement au tunnel. En face du diverticule préservé, à quelque
distance du tunnel, on trouve les vestiges d’une autre annexes, éventuellement
un second diverticule.
Le vestibule d’entrée est
constitué de murs de blocs et d’os de baleine. Sa paroi septentrionale
comprend un crâne de baleine soigneusement ajusté dans la construction de
pierre. Le mur oriental comprend, outre des blocs lithiques, des vertèbre de
baleine en guise de briques. Ce diverticule mesure environ 200 cm de longueur
pour 150 cm de largeur et environ 100-110 cm de hauteur préservée. Des
vestiges de peau de morse et de bois ont été découverts sur le dallage du
vestibule ; ces éléments proviennent certainement d’une couverture ou
d’une toiture qui permettait d’isoler l’entrée du couloir du vent et du
froid.
Entre le vestibule et le
couloir, l’ouverture est restreint à environ 30 cm de largeur. Le dimensions
du tunnel sont les suivantes : 560 cm de longueur, 50 cm de largeur moyenne
et 50-70 cm de hauteur préservée. Les parois de ce couloir sont constituées
de dalles verticales. Le fond est également soigneusement dallé. Au moment de
l’occupation de la maison, il est probable que des matériaux périssables
(bois, os) constituaient le prolongement en hauteur des parois et la couverture
du tunnel. La hauteur totale initiale est estimée à environ 90-120 cm.
L’altitude du dallage du couloir est inférieure à celle du sol de l’aire
interne d’env. 50 cm (trappe à chaleur) ; une marche de 50 cm de hauteur
sépare le couloir de l’aire interne.
L’aire interne habitable est
de forme rectangulaire et mesure environ 360 cm dans l’axe du couloir et 500
cm de largeur. Le dallage du sol est irrégulier. Des indices de tripartition de
la surface sont visibles. Il s’agit sans doute des lignes de démarcation de
plates-formes de couchage. Les murs sont moins bien préservés qu’au niveau
du couloir. Il semble qu’un partie des matériaux ait été ôtée de la
ruine, probablement en vue d’une réutilisation dans une autre construction.
Le diverticule du couloir présente
aussi un dallage de sol qui se trouve à plusieurs décimètres au-dessus du
fond du couloir. Cette structure servait certainement à des fins de stockage.
L’hypothétique second
diverticule, dont quelques vestiges ont été localisés en face du premier, était
surtout délimité par une forte couche de cendres. On ne peut exclure, de par
sa position, que cette structure soit un aménagement extérieur à la maison
(cuisson de poterie ?).
Fig.
21
Trois datations (B-889 :
1000 ± 70, matériel carbonisé ; B-888 : 740 ± 80, bois ;
B-891 : 710 ± 50, bois carbonisé) (Bandi et Bürgi 1971-72:94) permettent
de caler cette construction entre 1190 et 1290 ap. J.-C. (2 sigma), c’est-à-dire
durant le Punukien récent (ou classique). Le mobilier archéologique,
relativement bien préservé, comprend plusieurs têtes de harpon décorées
(Ibid.:98-99, fig. 41-42) qui confirment chronotypologiquement ce calage.
8.2.4 Architecture du Birnirkien
Aucune ruine ou structure
attribuée spécifiquement au Birnirkien n’a été découverte sur l’île
St. Laurent. Dans cette région, les manifestations du Birnirkien se présentent
dans les inventaires mobiliers par des têtes de harpon de type spécifiques
birnirkiens, parfois décorés de motifs punukien ancien, et liés à du matériel
du Punukien ancien, comme par exemple à S’keliyuk (Ackerman 1961:189-190). Il
semble que le Birnirkien est intrusif sur l’île St. Laurent. Cette intrusion
n’est probablement pas seulement le fait de transferts culturels, mais
bel-et-bien due à l’intrusion d’une population porteuse de traits
birnirkiens dans des communautés du Punukien ancien. Par contre, il semble
clair que cette intrusion ne soit pas uniforme et que plusieurs sites du
Punukien restent exempts de ces éléments intrusifs.
Ce type d’intrusion n’est
certainement pas ponctuel. Sur le site d’habitat d’Ekven, sur la péninsule
des Tchouktches, une maison semi-souterraine isolée, attribuée spécifiquement
au Birnirkien ancien, est localisée en marge de l’alignement principal de
maisons semi-souterraines du Punukien ancien (Blumer 1996:114, fig. 2).
8.2.5
Architecture du Punukien récent / Thuléen
La
maison semi-souterraine mise au jour par Giddings en 1939 sur le site de
Kitngipalak (Giddings 1957:133, cf. aussi Giddings 1960) possède une aire
interne de forme circulaire et ressemble, selon Rainey (1941:472), au type
d’habitat Thuléen caractéristique de l’Arctique oriental. Malheureusement,
à l’exception de quelques brefs comptes-rendus, aucun rapport détaillé
n’a été publié pour cette structure. Pour se faire une idée de la forme de
cet habitat , on peut proposer le plan publié par Dumond pour une maison
d’hiver classique du Thuléen du Canada nord-central (Dumond 1987:144, fig.
111).
Fig.
22
8.2.6
Architecture du Préhistorique Récent et Moderne
Les
meilleurs exemples de ruines préhistoriques récentes et modernes ont été étudiés
sur le site de Kukulek par Geist (Geist et Rainey 1936:58-77). On y trouve non
seulement des ruines d’habitats, mais aussi des caches et des abris de tempête.
Il faut attribuer l’excellente préservation de ces structures au fait que le
site de Kukulek a été abandonné suite à la décimation presque intégrale de
sa population durant les famines des hivers 1878-1879.
La
forme générale des habitats est similaire à celles du Punukien. La principale
différence réside dans les dimensions et dans les matériaux de construction :
durant le Punukien, la pierre et les ossements de baleine sont privilégiés
pour les murs et les sols, alors que postérieurement, le bois de flottage,
parfois débité en planches, est plus souvent mis en œuvre (naturellement,
ceci dépend étroitement du site, certaines localisation étant plus pauvres en
bois de flottage). La surface des habitats est également plus importante ;
entre le 16ème et le 19ème siècle, les dimensions des
espaces habitables croît progressivement.
Une
maisons semi-souterraine de Kukulek, datée de l’époque moderne, possède un
espace interne de forme carrée mesurant 770 cm de côté à laquelle mène un
couloir légèrement coudé, de 500 cm de longueur pour 120 cm de largeur,
orienté perpendiculairement au centre de la paroi du volume interne.
Fig.
23
Les
murs du couloir d’entrée sont faits de poteaux verticaux jointifs. L’aménagement
du sol comprend un plancher dans les deux tiers proches de l’aire interne et
un dallage dans le tiers externe. A l’extrémité du couloir d’entrée se
trouve un vestibule circulaire construit en pierre sèche.
La
toiture de cette maison est constituée de planches brutes recouvertes d’une
puissante couche de sédiments et de mottes herbeuses. Une vertèbre de baleine
creuse était utilisée comme ventilateur de plafond. On pouvait l’obstruer
par un disque intervertébral de baleine depuis l’intérieur, à l’aide
d’une perche.
Le
plancher se trouve dans une fosse d’environ 85 cm de profondeur. Les murs sont
constitués de poteaux de bois de flottage placés verticalement et
jointivement. Il sont calés de l’extérieur avec des sédiments. Ces poutres
ont de diamètre de 7.5-10 cm ; les poteaux de plus fort diamètres sont
fendus, avec la face convexe orientée vers l’intérieur. Le fond de la fosse
est constitué de terre battue entremêlée de quelques dallettes lithiques. Sur
tout le pourtour de l’aire interne, deux niveaux de plates-formes de couchages
superposées ont été observées. La plate-forme inférieur repose sur le sol
par l’intermédiaire de quelques courts poteaux. La plate-forme supérieure
est fixée aux murs et est soutenue vers l’intérieur par des poteaux encochés.
Des tenons en os étaient utilisés pour les assemblages de bois. Les
plate-forme sont faites de poutres fendues et de planches. Des poteaux encochés
servaient d’échelle pour atteindre la plate-forme supérieure. La surface de
couchage disponible dans cet habitat indique que la maison était occupée par
plusieurs familles.
Trente-quatre
squelettes humains reposaient dans cette maison, tous victimes des famines des
hivers 1878-1879. Les restes de faune comprennent plusieurs chiens, un renard et
du phoque. Le mobilier comprend une grande quantité d’ustensiles domestique,
d’armes et de matériel de chasse en bois, fanon de baleine, os et ivoire,
ainsi que les éléments modernes suivants : des perles de porcelaine et de
verre dans des récipients en bois ou en verre, des bouteilles brisées et
plusieurs couteaux à lames d’acier. Deux arcs composites renforcés ont été
trouvés sous et sur la plate-forme de couchage inférieure ; l’un
d’eux était accompagné d’un carquois rempli de flèches munies de pointes
d’ivoire, d’os et d’acier. Il y avait également une lance d’acier
emmanchée dans une longue hampe de bois.
Les
habitats plus anciens (maisons 2, 3 et 4), dont les fondations ont été retrouvées
sous la maison moderne décrite ci-dessus, ne diffèrent pas sensiblement par
leur morphologie. Ils sont de dimensions plus restreintes (Maison 3 : 735 x
405 cm ; Maison 4 : 655 x 415 cm) et les murs des maisons inférieures
(maison 3 et 4) sont constitués de poutres placées horizontalement (de manière
comparable au Blockbau). Ces habitats ne comprennent généralement pas de
plates-formes de couchage superposées.
8.2.7 Synthèse
|
Okvikien
|
Vieux Béringien
|
Punukien
|
|
|
Préhist. Récent
|
Moderne
|
Forme aire interne
|
circulaire
|
quadrangulaire
|
quadrangulaire
|
|
|
quadrangulaire
|
quadrangulaire
|
Dimensions aire interne
|
540 x 540cm et
830 x 600 cm
|
400 x 310 cm
|
500 x 360 cm
|
|
|
650 x 410 cm et
730 x 400 cm
|
775 x 775 cm
|
Parois
|
fondations pierre sèche
|
fondations pierre sèche, perche horizontales ( ?)
|
fondations pierre sèche et os de baleine
|
|
|
perches horizontales jointives
|
perches verticales jointives
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Sol
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dallage
|
dallage
|
dallage
|
|
|
terre battue et/ou plancher de perches
|
terre battue et/ou plancher (planches ou perches)
|
Type plate-forme de couchage
|
indéterminé
|
indéterminé
|
indéterminé
|
|
|
périphérique en bois
|
périphérique en bois, parfois superposé
|
Toiture et couverture
|
indéterminé
|
indéterminé
|
poutrage de bois et d’os de mammifères marins, tourbe, (peau ?)
|
|
|
forme pyramidale tronquée ; bois (poutres et perches) et tourbe
|
forme pyramidale tronquée ; bois (poutres, perches et planches)
et tourbe
|
Type couloir
|
probabl. rectiligne, dallé et surbaissé ; pierre sèche
|
rectiligne, dallé et surbaissé ; pierre sèche
|
rectiligne, dallé et surbaissé ; pierre sèche et os de baleine
|
|
|
rectiligne, dallage ou plancher de perches ; murs de perches
horizontales
|
rectiligne ou coudé, dallage ou plancher ; murs de perches
verticales
|
Dimensions couloir
|
250-280 x 60 cm ?
|
430 x 60 cm
|
560 x 50 cm
|
|
|
?
|
500 x 120 cm
|
Annexes couloir
|
aucune
|
aucune
|
vestibule et diverticule(s) latéraux possibles
|
|
|
aucune ?
|
aucune ?
|
Tab.
24
- Caractéristiques architecturales principales pour différentes
cultures de l’île St. Laurent.
8.3 Conclusions
Les
structures architecturales visibles dans notre profil K2 comprennent, entre
autres, des vestiges d’aires internes d’habitats (H1 et H2). Le plan de ces
structure ne peut pas être déterminé. Les seules indications que nous possédions
concernent les parois et , pour H2, l’absence apparente de dallage jointif au
sol.
Les
parois de H1 sont constituées d’un muret de pierre sèche et d’un bloc
implanté verticalement. Le bois est absent, bien que la préservation soit
excellente. Nous pouvons supposer que nous avons à faire à une structure
d’habitat antérieure au Préhistorique Récent durant lequel on construisait
surtout en bois.
L’unique
paroi de H2 comprend un poteau vertical plaqué de perches horizontales. Ce
dernier type de construction n’est pas sans rappeler l’architecture des
habitats préhistoriques récents. Si cette construction peut être attribuée
à une culture antérieure au Préhistorique Récent, par exemple au Punukien,
alors nous pourrons compléter nos connaissances de l’architecture de cette
culture.
En
ce qui concerne les caches à viande, il faut remarquer que la variabilité de
leurs formes est énorme. Il est impossible de déterminer l’antiquité de ces
structures par leur seule morphologie.
|