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4. État de la recherche4.1 Principaux sites archéologiquesLes noms des principaux sites archéologiques de l’île St. Laurent et de l’archipel Punuk sont présentés avec les informations suivantes :
4.1.1 Ile St. LaurentPour l’île St. Laurent, nous listons les sites principaux et nous ajoutons les sites moins importants qui se trouvent non loin de notre site d’étude, Kitngipalak. Les numéros d’identification sont reportés sur la carte (fig. 4).
Tab.
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- Liste des sites archéologiques de l’île St. Laurent, Alaska. 4.1.2 Archipel PunukLa localisation des sites de l’archipel Punuk se trouve sur la carte de la fig. 5.
Tab. 2 - Liste des sites archéologiques de l’archipel Punuk, Alaska. 4.2 Le Punukien dans le contexte du Néoeskimo4.2.1 Invention du PunukienEn 1928, Henry B. Collins procède à sa première campagne dans la région de l’île St. Laurent, sur le plus grand îlot de l’archipel Punuk (Collins 1937:29-30). En deux mois, il fouille un site d’habitat (cf. Fig. 5:5) à l’extrémité occidentale de l’îlot et prélève une grande collection de matériel archéologique décoré dans ce qu’il dénomme le style Punuk, ainsi que quelques éléments décorés dans le style Béringien (Bering Sea culture), tel qu’il est défini par Jenness sur la base de ses fouilles de l’île de la Petite Diomède (1928 ; cf. aussi Hrdlicka 1928, 1929, 1930), et aussi quantité de matériel récent. Ce site n’a jamais été publié intégralement, mais il a été schématiquement décrit par Collins (1929:14-18, 1937:27-31, 1954:73-75) ; il deviendra le site éponyme pour le style Punuk, ainsi que pour la culture de Punuk (ou Punukien). Malheureusement, il n’existe aucune information contextuelle sur ce site (stratigraphie, description des structures d’habitat, localisation du matériel prélevé). Même le style décoratif défini par Collins en tant que style Punuk n’a jamais été illustré de manière précise par l’inventeur (Lewis 1996). 4.2.2 Séquence chronoculturelle du NéoeskimoGrâces aux recherches de Collins dans la région de Gambell et sur les îlots Punuk, ainsi qu’à celles d’autres chercheurs américains et russes sur divers sites de la région de la mer de Béring, le Punukien a pu être défini en tant qu’entité culturelle indépendante. Elle s’intègre dans un schéma chronoculturel béringien, partiellement développé par ces même chercheurs, qui s’articule entre le début de notre ère et l’époque moderne.
Les entités culturelles considérées dans ce schéma (Okvikien, Vieux Béringien, Birnirkien, Punukien, Thuléen occidental) ont généralement été regroupées sous l’étiquette de Néoeskimo (ou Neo-Eskimo) initialement inventée par Steensby (1916:211 ; Collins 1937:5-6) et réintroduite par Larsen et Rainey (1948:182-184). Les cultures du Néoeskimo présentent toutes un mode de subsistance basé sur les caractéristiques suivantes :
Ces cultures (à l’exclusion du Thuléen) se répartissent sur les côtes de la Tchoukotka (Sibérie nord-orientale), sur les îles Diomèdes (Ratmanov, ou Grande Diomède, appartenant à la Fédération de Russie, et Petite Diomède américaine), sur l’île St. Laurent et les îlots Punuk, en Alaska, depuis le Norton Sound au sud, le long de la péninsule de Seward et du Kotzebue Sound vers le nord jusqu'à la frontière actuelle canado-alaskane. En intégrant le Thuléen dans le Néoeskimo, il faudrait encore élargir cette ère de répartition vers l’Est en y intégrant le Nord canadien et le Groenland. La succession chronologique de ces entités culturelles est encore relativement imprécise et donne lieu à de nombreuse discussions. Le calage chronologique par les méthodes de datation absolue est pratiqué depuis quelques années, mais le corpus des datations disponibles est encore bien faible, surtout si l’on considère le nombre des sites, l’extension géographiques des ces cultures et les problèmes intrinsèques des matériaux datés (bois de flottage, échantillons marins, contaminations par des graisses animales, etc.). Malgré cela, il est possible de présenter un schéma chronoculturel qui est plausible pour l’aire béringienne et auquel commencent à se rallier la plupart des chercheurs (Fig. 3). Ce schéma a l’avantage d’intégrer la synchronie partielle a été clairement démontrée par l’analyse des assemblages retrouvés dans certaines sépultures des nécropoles d’Ouelen et d’Ekven en Tchoukotka (Bronsthein 1993:79). 4.2.3 Okvikien : sujet de discordeUn des principaux sujet de discorde entre néoeskimologues est sans aucun doute le calage chronologique de l’Okvikien. Pour Rainey (qui a publié en 1941 le matériel fouillé par Geist et Skarland entre 1934 et 1935), l’Okvikien est antérieur au Vieux Béringien et cette culture est donc la plus ancienne du Néoeskimo béringien ; ses conclusions sont essentiellement basées sur des comparaisons stylistiques entre les objets décorés du site d’Okvik et les matériaux décorés découvert par Collins et par Giddings sur le site de Hillside (Rainey 1941:468-472). La position de Rainey n’a jamais été intégralement acceptée par Collins. Pour lui, le style décoratif de l’Okvikien est identique au style Vieux Béringien I qu’il avait défini (Collins 1937:47, fig. 1). A l’heure actuelle, M. Bronsthein (1993:92) distingue un style okvikien et un style vieux béringien I, chacun représentatif d’une entité culturelle individuelle. Malheureusement, le site éponyme de l’Okvikien a été intégralement détruit par l’érosion naturelle et aucun autre site purement okvikien n’a été découvert depuis les fouilles d’habitats de Collins et Giddings à Hillside. C’est dans le but d’éclaircir le calage chronologique de l’Okvikien que l’équipe du Prof. Bandi a aménagé la tranchée K2 à Kitngipalak. En effet, du matériel portant des décors okvikiens avait été découvert sur ce site par des autochtones (ils l’ont vendu à Geist en 1932 ; Rainey 1941:468), et la puissance des monticules de Kitngipalak pouvait laisser présager une succession stratigraphiques qui mettrait en lumière la position de l’Okvikien. Malheureusement, le profil obtenu n’a pas été à la hauteur des espérances des chercheurs et aucun matériel attribuable au Vieux Béringien ou à l’Okvikien n’a été découvert (Maier n.d.). 4.2.4 Caractéristiques du punukienLe Punukien est une entité culturelle du Néoeskimo fondée sur les spécificités suivantes
Ces traits spécifiques se sont probablement développés partiellement dans le cadre d’une dynamique interne d’adaptation, mais aussi sous l’effet d’influences externes, notamment d’un point de vue technologique. Les techniques de polissage lithique existaient déjà durant le Vieux Béringien, mais les lames et pointes polies deviennent largement majoritaires durant le Punukien. Ces techniques proviennent probablement de la péninsule d’Alaska (sud-ouest de l’Alaska) et ont été transmises par transfert culturel (Dumond 1968). L’utilisation intensive de graveurs à pointe métallique (qui restent tout de même très rares dans les collections) est certainement le fruit d’approvisionnement en fer par des réseaux d’échanges liant indirectement la région béringienne au nord de la Chine. L’arc composite et les armures semblent avoir suivi une voie identique. En architecture, si les principes de base restent les mêmes que pour les autres cultures du Néoeskimo, on peut remarquer une tendance à l’agrandissement des constructions et à une extension des occupations villageoises. Ces développements semblent indiquer un accroissement démographique (Harritt 1995:37 citant Krupnik 1983:90-92, Tab. 1). La « richesse » des traditions décoratives (durant tout le Néoeskimo) est certainement à mettre en relation avec des phénomènes de distinction ethnique ou culturelle nécessitée par une concentration humaine dans une région présentant une très importante biodiversité. La paupérisation décorative qui marque le Punukien (par rapport au styles extrêmement complexes du Vieux Béringien) est largement due à un élargissement des zones occupées, ainsi qu’à l’apparition de l’activité de subsistance intensive nouvelle qu’est la chasse à la baleine. Cette focalisation économique a permis l’agrandissement des communautés, mais elle a également entraîné rapidement des concurrences et des guerres, peut-être sous l’effet de la raréfaction des proies ou des captures (conditions climatiques dégénératives et/ou ponction trop importante sur le stock). La distinction ethnique ou culturelle par la décoration de l’ivoire, qui existe depuis le début du Néoeskimo, est remplacée durant le Punukien par des activités belliqueuses visant l’éradication pure et simple du chasseur ennemi et l’accroissement démographique du groupe (massacre des hommes et des garçons, rapt des femmes et des fillettes). Pour des motifs de subsistance, ces guerres intestines, menées par des capitaines d’équipages de chasse à la baleine, n’ont jamais pu dégénérer en guerre à grande échelle ; les contraintes nutritionnelles de la communauté restaient plus fortes que les griefs à l’encontre des concurrents. En résumé, le Punukien est une culture complexe dont les caractéristiques, développées et mises à l’épreuve durant plusieurs siècles, resteront les bases sociales, culturelles et économiques des sociétés baleinières des côtes de l’Alaska et de la Tchoukotka jusqu’à l’aube du 20ème siècle, et dans une moindre mesure, jusqu'à aujourd’hui. 4.2.5 Apparition de la chasse à la baleineSi certains auteurs supposent que la chasse à la baleine apparaît dans des contextes culturels anciens comme la culture du Baleinier Ancien (Old Whaling culture) définie par Giddings sur la base du site du Cap Krusenstern AK (Giddings 1973:275 et sv. ; antérieurement dénommée Krusenstern notched point assemblage dans Giddings 1960:127), ou dans le Vieux Béringien, il faut noter que la généralisation de la chasse à la baleine a lieu durant le Punukien classique. Dans le Baleinier Ancien, les faits matériels utilisés pas Giddings pour fonder l’existence de la chasse à la baleine peuvent être expliqués par d’autres phénomènes, parfois naturels, et souvent beaucoup plus réalistes. Et même si des chasses ponctuelles à la baleine existaient dans le Baleinier Ancien, cette culture ne possède aucun lien avec les cultures du Néoeskimo formé, tant d’un point de vue chronologique qu’au point de vue de la culture matérielle, ce qui rend impossible toute tentative de filiation. Pour un démontage constructif du concept de chasse à la baleine dans le Baleinier Ancien, on peut se référer à l’excellent article de Gerlach et Mason (1995). Dans les inventaires matériels des premières cultures du Néoeskimo, à savoir l’Okvikien et le Vieux Béringien ancien, les indices de chasse à la baleine sont tellement ténus qu’il est bien difficile d’affirmer sa généralisation. Sur le site éponyme de l’Okvikien, sur un des îlots Punuk, un seul fragment de têtes de harpon à baleine a été découvert (Rainey 1941:487, fig. 9:10). Il est décoré de motifs okvikiens. Sur territoire tchouktche, dans les nécropoles d’Ouelen et d’Ekven, les dimensions de certaines têtes de harpon laissent supposer une utilisation possible pour chasser la baleine (Rudenko 1961:122 ; cet auteur pense particulièrement à des petites baleines à fanon et au Béluga (Delphinapterus leucas Pall.)), notamment les exemplaires dont la longueur se situe entre 13 et 17 cm (pour le Vieux Béringien I, cf. p. ex. Leskov et Müller-Beck 1993:94:2-3, 96:7-8 ; pour le VB II, cf. p. ex. ibid.:99:26, 100:30 ; pour le VB III, cf. p. ex. ibid.:103:42). Pourtant, il n’est pas inconcevable de penser que ces têtes lourdes étaient exclusivement utilisées pour chasser le morse, en particulier pour les grands mâles qui portent les défenses les plus lourdes, matière première indispensable pour la fabrication des grands outils en ivoire. Dans le Birnirkien, la spécialisation cynégétique semble être la chasse au phoque, en particulier la chasse pédestre hivernale (par les trous de respiration ou aux bords de chenaux ouverts dans la banquise). La culture matérielle birnirkienne présente également un grand nombre d’instruments en bois de renne (à l’exception de l’île St. Laurent, où le renne est absent), et il semble que la chasse au renne était une activité régulière. Bien que les superstructures des habitats semi-souterrains du Birnirkien comprennent souvent des os de baleine (cf. notamment Blumer 1996:122, 1997 (à paraître)), il ne semble pas pour autant certain que la chasse à la baleine ait été intensément pratiquée. La récupération de carcasses échouées est certainement la source d’approvisionnement privilégiée avant l’effervescence de la chasse à la baleine dans le Punukien. Le développement de la chasse à la baleine s’opère parallèlement à la mise en place de plusieurs conditions : (1) un développement démographique (Harritt 1995:37 citant Krupnik 1983:90-92, Tab. 1), (2) l’apparition d’une structure sociale rigide basée sur l’équipage de l’umiak (barque traditionnelle en bois et peau de morse) subordonné à un capitaine (l’umialik) (Harritt 1995:44), et finalement (3) une période climatique clémente entre 800 et 1300 ap. J.-C. (Medieval Warm Period ou MWP) (Fedosova et Koslovskaja 1993:22, fig. 2). En plus de ces conditions-cadre, la maîtrise technologique était nécessaire pour produire des armes et des accessoires adaptés à cette forme de chasse. Les têtes de harpons à baleine, dans leur forme simple et classique, se généralisent autour de 800 ap. J.-C. au nord de l’Alaska, en contexte birnirkien, sous l’influences du Punukien. Il semble démontré que le développement de la chasse à la baleine se soit fait parallèlement à une augmentation de la tendance belliqueuse entre groupes territoriaux, parfois distants de plusieurs dizaines, voire centaines, de kilomètres (Bandi 1995:167). Ce phénomène pourrait être dû à des problèmes de concurrences locales ; il comprend principalement des raids armés sur des villages permanents, généralement à partir de baleinières (umiak). Les armes déployées comprennent surtout l’arc composite - arme qui apparaît durant cette période - muni de flèches à pointes de guerre (différentes des flèches de chasse) et les lances ; ces raids visaient principalement l’extermination des hommes et le rapt de femmes qui étaient mises en esclavage et qui contribuaient ainsi, bien malgré elles, au transferts génétiques, culturels et technologiques entre groupes. Les moyens de défense développés comprennent, entre autre, la cuirasse en fanon de baleine ou en ivoire (plaques d’armure) et les sites d’altitude côtiers (Bandi 1995:172-180). L’origine de certains éléments (arc, armures) est à rapporter à des influences de l’Est et du Centre asiatique, notamment de la Chine. |
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