Summary
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Résumé

Chapitre

L’île St. Laurent, vaste terre située au sud de la mer de Béring, entre la Tchoukotka (Sibérie nord-orientale) et l’Alaska, est considérée depuis plusieurs décennies comme un haut lieu de la préhistoire eskimo. Peuplée par quelques centaines de Yuit (Eskimo parlant le Yupik), cette île voit l’arrivée des premiers navigateurs occidentaux au 19ème siècle de notre ère ; ces derniers découvrent un peuple dont le mode de subsistance est presque exclusivement orienté vers les ressources marines, en particulier vers la chasse aux grands mammifères marins, les morses et les baleines.

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2.1

Aux explorateurs et aux baleiniers occidentaux succèdent, dès les années 1930, les premiers archéologues et anthropologues américains qui mettent rapidement au jour une culture matérielle riche en éléments mobiliers décorés en ivoire de morse. En l’espace de deux décennies, les principaux caractères culturels et chronologiques du Néoeskimo béringien sont définis. Ces caractères resteront généralement valables jusqu'à nos jours. Le schéma établi présente une tradition continue centrée sur la chasse aux mammifères marins, qui apparaît vers le début de notre ère et se perpétue globalement jusqu’au début du 20ème siècle. Cette tradition de l’île St. Laurent est approximativement identique à celles qui ont été découvertes sur les côtes de la Tchoukotka et en Alaska par les archéologies russes et américaines.

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Dans le but d’éclaircir et de préciser la succession chronoculturelle des premières cultures du Néoeskimo, à savoir l’Okvikien et le Vieux Béringien, une équipe dirigée par le Prof. Dr. Bandi (Berne) aménage en 1973 une tranchée de sondage stratigraphique dans un vaste monticule anthropisé du site de Kitngipalak, localisé sur la côte occidentale de l’île St. Laurent.

3.3

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Après cinq décapages successifs, dont trois avec délimitation de secteurs de 5 mètres de longueur, le profil stratigraphique mis au jour s’avère être d’une grande complexité intrinsèque et il ne livrera pas l’information diachronique initialement espérée. Pourtant, le riche mobilier archéologique, excellemment préservé, est susceptible d’éclairer une des principales cultures du Néoeskimo béringien, à savoir le Punukien, et en particulier sa phase ancienne.

5.3.2

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Les structures architecturales observées dans le profil comprennent au moins deux ruines d’habitats semi-souterrains et deux caches à viande. Malheureusement, l’approche verticale de la fouille ne permet pas d’apprécier très précisément les agencements de ces structures. D’autres ruines d’habitats fouillés sur l’île St. Laurent permettent d’apprécier le type de construction.

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Bien que les corrélations entre structures, unités stratigraphiques et mobilier archéologique ne soient pas toujours très claires (à cause de la technique de fouille appliquée), il est possible d’attribuer une grande partie du mobilier aux structures identifiées.

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Les datations radiométriques permettent de caler les deux ruines d’habitats vers le début du 10ème siècle, respectivement vers la fin du 11ème siècle, de notre ère, soit vers la fin du Punukien ancien. Les éléments chronotypologiques de la tranchée de sondage sont souvent attribuables à la phase ancienne du Punukien et parfois au Punukien sans autre précision.

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Le mobilier archéologique comprend les matières premières principales suivantes : ivoire de morse, os, fanon de baleine, cuir, bois, schistes, grès, roches cristallines et siliceuses. Le nombre d’éléments mobiliers du corpus s’élève à 883 pièces. Les collages d’objets fragmentés n’ont pas permis de définir des structures latentes dans le profil, ce qui est certainement dû à la morphologie du profil, long de 25 m pour seulement 1 m de largeur.

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La proportion d’objets fonctionnellement déterminables atteint 83.7 % du corpus (N=883) (86.6 % en intégrant les objets de fonction hypothétique). Les activités de chasses sont représentées par 12.5 % du matériel. Les armatures lithiques tranchantes, tous types confondus, comprennent 6.5 % du corpus. Les récipients et conteneurs domestiques sont très nombreux, puisque près d’un quart du matériel (24.1 %) est intégré dans ces catégories. Les activités de production et de manufacture des objets en matières dures sont illustrées par les déchets de débitage qui représentent plus d’un quart du matériel (27.2 %). Le solde se répartit dans diverses catégories fonctionnelles (les mieux représentées sont les instruments de perçage et le matériel lié à la manufature de l’industrie osseuse et ligneuse, avec chacunes 1.7 % du matériel).

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Les proportions des différentes catégories fonctionnelles sont représentatives d’une aire d’habitats, et en particulier l’aire domestique. Elles se différencient nettement de celle que l’on trouve dans les tombes contemporaines dans lesquelles le mobilier funéraire est souvent majoritairement relatif aux activités de chasse, de guerre, de boucherie et de peausselerie, en plus des éléments de parure. Cette situation est vraie pour tout le Néoeskimo dans toute la région béringienne, tant sur l’île St. Laurent qu’en Tchoukotka et en Alaska. Dans notre corpus, la faible représentation du matériel liés aux transports (kayak, umiak, traîneau) est probablement due à l’échantillonage ; dans d’autres secteurs du monticule, cette catégorie aurait pu être plus fortement représentée.

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Si l’on considère le mobilier qui est lié aux techniques de production de viande, de peau, et de plume, on constate que 41.8 % est destiné à la chasse aux mammifères marins, 31.8 % aux activités de piégeage (visant principalement l’avifaune aquatique pour l’obtention de plumes et de duvets), 19.1 % à la chasse aux mammifères terrestres, 4.5 % à la chasse aux oiseaux et seulement 2.7 % à la pêche. L’ensemble du matériel destiné à l’obtention d’avifaune s’élève donc à 36.3 %, donc presque autant que celui qui est utilisé contre la faune à fort potentiel carné. Mais ce constat doit certainement être relativisé par la valeur relative de ces équipements, valeur représentée par l’investissement dans leurs manufactures respectives. Dans le contexte des activité cynégétiques, signalons encore que le mobilier relatif à la chasse à la baleine, bien que représenté, est encore très rare. Outre d’éventuels problèmes d’échantillonage, ce constat confirme le caractère encore marginal de ce type de chasse dans la phase ancienne du Punukien.

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D’un point de vue global, le matériel de la tranchée K2 de Kitngipalak est homogène. Il provient partiellement de deux habitats semi-souterrains et le restant est en relation avec d’autres structures d’occupations adjacentes qui ne sont pas observables dans le profil stratigraphique. L’ensemble peut être attribué au Punukien ancien sur la base de considération radiochronologiques et chronotypologiques. L’abandon du site ne peut pas être documenté avec précision.

Durant la période d’occupation documentée dans ce profil, d’autres sites sont occupés sur l’île St. Laurent. Sur certains sites, des composantes du Birnirkien (culture présente surtout au nord de l’Alaska et sur la péninsule des Tchouktches) sont introduits dans le stock local de la fin du Punukien ancien ; il semble que cette introduction soit la conséquence de l’arrivée de groupes humains sur l’île. Ces populations sont rapidement absorbées par les insulaires et les composantes matérielles birnirkiennes n’influencent pas radicalement la culture matérielle locale. D’autres exemples de cohabitation pacifique entre groupes du Punukien et du Birnirkien sont en cours de documentation sur un site de la péninsule des Tchouktches. Sur le site de Kitngipalak, aucune intrusion de ce type n’est observable.

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Dans le futur, la documentation extensive du site de Kitngipalak, une des sites les mieux préservés de l’île, s’impose comme une nécessité si l’on considère les facteurs dégradants qui sont à l’oeuvre : érosion marine et exploitation commerciale par les autochtones (sous la pression du lobby des collectionneurs privés du monde entier). Malheureusement, les barrières culturelles et politiques qui se sont mises en place entre les années 1930 et 1975, et qui se sont montrées très effectives, ne permettront pas de sauvetage dans un avenir proche.

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Last updated: 11-04-2001