13. Conclusions
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13. Conclusions

Comme nous l’avons vu, le nombre des structures architecturales d’habitation qui apparaissent dans le profil stratigraphique K2 de Kitngipalak est restreint à deux entités ; de surcroît, ces deux ruines de maissons semi-souterraines ont été explorées verticalement et partiellement, avec une technique de fouille impropre à la documentation de l’environnement domestique. Les difficultés de corrélation entre matériel archéologique, unités stratigraphiques et structures mènent à un constat quelque-peu décevant du point de vue de la reconstitution. Malgré ce constat, il est possible de documenter le caractère fonctionnel du matériel archéologique prélevé dans la tranchée de sondage.

Les matières premières principales mises en œuvre comprennent l’ivoire de morse, l’os, le fanon de baleine, le cuir, le bois (de flottage), divers schistes, du grès, des roches cristallines et siliceuses. Le nombre des éléments mobiliers s’élève à 883 objets. Les collages d’objets fragmentés n’ont pas permis de définir des structures latentes verticales dans le profil ; cela est certainement dû à la morphologie du profil, long de 25 m pour seulement 1 m de largeur.

La proportion d’objets fonctionnellement déterminables atteint 83.7 % du corpus (N=883) (86.6 % en intégrant les objets de fonction hypothétique). Les activités de chasses sont représentées par 12.5 % du matériel. Les armatures lithiques tranchantes, tous types confondus, comprennent 6.5 % du corpus. Les récipients et conteneurs domestiques sont très nombreux, puisque près d’un quart du matériel (24.1 %) est intégré dans ces catégories. Les activités de production et de manufacture des objets en matières dures sont illustrées par les déchets de débitage qui représentent plus d’un quart du matériel (27.2 %). Le solde se répartit dans diverses catégories fonctionnelles (les mieux représentées sont les instruments de perçage et le matériel lié à la manufature de l’industrie osseuse et ligneuse, avec chacunes 1.7 % du matériel).

Les proportions des différentes catégories fonctionnelles sont représentatives d’une aire d’habitats, et en particulier l’aire domestique. Elles se différencient nettement de celle que l’on trouve dans les tombes contemporaines dans lesquelles le mobilier funéraire est souvent majoritairement relatif aux activités de chasse, de guerre, de boucherie et de peausselerie, en plus des éléments de parure. Cette situation est vraie pour tout le Néoeskimo dans toute la région béringienne, tant sur l’île St. Laurent qu’en Tchoukotka et en Alaska. Dans notre corpus, la faible représentation du matériel liés aux transports (kayak, umiak, traîneau) est probablement due à l’échantillonage ; dans d’autres secteurs du monticule, cette catégorie aurait pu être plus fortement représentée.

Si l’on considère le mobilier qui est lié aux techniques de production de viande, de peau, et de plume, on constate que 41.8 % est destiné à la chasse aux mammifères marins, 31.8 % aux activités de piégeage (visant principalement l’avifaune aquatique pour l’obtention de plumes et de duvets), 19.1 % à la chasse aux mammifères terrestres, 4.5 % à la chasse aux oiseaux et seulement 2.7 % à la pêche. L’ensemble du matériel destiné à l’obtention d’avifaune s’élève donc à 36.3 %, donc presque autant que celui qui est utilisé contre la faune à fort potentiel carné. Mais ce constat doit certainement être relativisé par la valeur relative de ces équipements, valeur représentée par l’investissement dans leurs manufactures respectives. Dans le contexte des activité cynégétiques, signalons encore que le mobilier relatif à la chasse à la baleine, bien que représenté, est encore très rare. Outre d’éventuels problèmes d’échantillonage, ce constat confirme le caractère encore marginal de ce type de chasse dans la phase ancienne du Punukien.

L’homogénéité du mobilier archéologique permet d’affirmer que les structures identifiées sont le fruit de populations appartenant à une culture ralativement bien documentée dans l’aire béringienne, à savoir le Punukien. Plusieurs indices, dont les têtes de harpon et les objets décorés en ivoire - éléments chronotypologique classique de la Néoeskimologie - sont représentatifs de la phase ancienne du Punukien et permettent de préciser la périodisation. Les datations radiocarbones disponibles, au nombre restreint de deux analyses, nous permettent d’affirmer que les deux ruines d’habitats ont été occupées vers le début du 10ème siècle, respectivement vers la fin du 11ème siècle de notre ère. Ce calage absolu est un peu récent pour le Punukien ancien qui est censé durer jusque vers la fin du 10ème siècle sweulement, mais une perduration localisée de la phase ancienne n’est pas impossible, notamment dans un milieu insulaire comme celui de l’île St. Laurent. De toute manière, le nombre de sites du Punukien correctement datés par la radiochronologie est encore très restreint. Il est impossible de dater avec certitude l’abandon de ce secteur du site de Kitngipalak. Si aucune témoins chronotypologique représentatif des phase du Préhistorique récent (Thuléen) et du Moderne n’a été identifié dans notre corpus, il n’est pas impossible que de tels éléments soient présents dans des secteurs du site de Kitngipalak.

Durant la période d’occupation documentée dans ce profil, d’autres sites sont occupés sur l’île St. Laurent. Sur certains sites, des composantes du Birnirkien (culture présente surtout au nord de l’Alaska et sur la péninsule des Tchouktches) sont introduits dans le stock local de la fin du Punukien ancien ; il semble que cette introduction soit la conséquence de l’arrivée de groupes humains sur l’île. Ces populations sont rapidement absorbées par les insulaires et les composantes matérielles birnirkiennes n’influencent pas radicalement la culture matérielle locale. D’autres exemples de cohabitation pacifique entre groupes du Punukien et du Birnirkien sont en cours de documentation sur un site de la péninsule des Tchouktches. Sur le site de Kitngipalak, aucune intrusion de ce type n’est observable.

Dans le futur, la documentation extensive du site de Kitngipalak, une des sites les mieux préservés de l’île, s’impose comme une nécessité si l’on considère les facteurs dégradants qui sont à l’oeuvre : érosion marine et exploitation commerciale par les autochtones (sous la pression du lobby des collectionneurs privés du monde entier). Malheureusement, les barrières culturelles et politiques qui se sont mises en place entre les années 1930 et 1975, et qui se sont montrées très effectives, ne permettront pas de sauvetage dans un avenir proche. Espérons que de futurs travaux entrepris sur d’autres sites de l’aire béringienne viendront encore préciser la reconstitution des anciennes cultures de chasseurs maritimes du Néoeskimo béringien.

Villarvolard, le 12 juin 1997

 


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Last updated: 13-04-2001